Convié lundi soir par un collectif fort honorable et surtout très citoyen, je me suis rendu à cette représentation que l’on disait dans ce landerneau, de grande envolée. Même la presse et les critiques les plus rompus à l’exercice en parlaient et croyez-moi il ne fallait certes pas manquer un tel spectacle, belle affiche nous avait-on vantée.
Arrivé fort tôt, bien que mon billet coupe-file, le gilet jaune, devait m’assurer une place de choix, dans la fosse, à proximité du chef d’orchestre, la foule s’empressait déjà, bravant les premiers froids hivernaux, tentant de trouver place dans cet espace intemporel, frissonnant à l’idée d’approcher ces acteurs, pas tous amateurs, mais bien coachés par leur directeur, récitant leur rôle appris par cœur.
Il se jouait donc une pièce de boulevard comme on les aime: quiproquos flamboyants, incompréhensions et roublardises, dénis en tout genre, mari cocu, amant fourbe et intriguant, maîtresse intéressée, niaise et ignorante, enfin tous les ingrédients pour se régaler et rire à gorge déployée et oublier l’espace d’un temps éphémère les vicissitudes d’une vie d’un petit village en émoi.
Bon me voilà trépignant d’impatience, attendant les trois coups du brigadier, oui, oui je vous assure c’est bien le brigadier de service qui résonna enfin dans une salle comble dans l’attente du lever d’un rideau quelque peu défraîchi par ces temps hivernaux.
Je sentais dans cet espace surchauffé la pression qui montait, signe d’une fébrilité avancée, le vaudeville allait enfin pouvoir commencer.
Eh croyez-moi, je ne fus guère déçu, Labiche et Feydeau non plus qui ne se sont pas tout à fait reconnus dans ce spectacle de rue.
La première entrée en scène, assez pathétique à vrai dire, m’interrogea sur la nature de la représentation que l’on m’avait recommandée, indigestion assurée.
Aurais-je confondu le boulevard avec la tragédie shakespearienne, revoyant encore Hamlet déclarer son amour pour Ophélie, me serais-je à ce point fourvoyé et abandonné tout espoir d’une comédie caressant la farce et l’ineptie.
Que nenni, la suite tout autant pitoyable et contestable, il faut le dire, n’en fut pas moins plus drôle, chacun, chacune dans son rôle, déclama son verbe, interprétation ordonnée, absence d’improvisation, peut-être parfois une émotion suggérée, un semblant de sanglot pour renforcer son jeu, faire plaisir au maître des lieux et montrer son talent d’affabulateur et de bonimenteur.
Mais il restait encore quelques actes et je me dis, tout en tentant de convaincre mon voisin mal assis sur son strapontin, que la farce allait durer et le rire nous surprendre et nous emporter enfin, mais nous restâmes sur notre faim.
Acteur en devenir et non comédien sur le déclin, cadeau de la soirée, cette tirade des plus majestueuses et des plus éloquentes, brisant enfin la médiocrité absolue d’une troupe repue, qui a su émouvoir et donner de l’espoir à une assemblée de devoir.
On ne m’y reprendra plus, les spectateurs non plus, qui en clôture ont demandé en pâture, sous les huées d’un public exacerbé, ces cabotins en mal de leur destin.
Non vraiment, promis, demain je regarderai, dans mon fauteuil près de l’âtre rougissant d’orgueil, « Au théâtre ce soir », le gilet jaune dans le tiroir.
Hervé Pennanec’h
vraiment ce texte est excellent
bravo pour ce texte
alain bourge